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Introduction
Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, est-il une forme de dépression ou un phénomène distinct? Cette interrogation reste un objet de controverse. En effet, la singularité du phénomène d’épuisement professionnel vis-à-vis de la dépression reste incertaine en raison des voies étiologiques communes et des symptômes partagés. Cet article propose un éclairage sur les facteurs psychologiques et physiologiques de la dépression et du burn-out [1]. Il s’appuie principalement sur les travaux de recherche de Bianchi et ses collaborateurs (Bianchi, Schonfeld, & Laurent, 2015) publiés dans « Clinical psychology review », une revue académique dans le domaine de la psychologie clinique. L’auteur principal de l’étude, Renzo Bianchi, est aujourd’hui maître de conférence en psychologie. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2014 et en grande partie résumée dans les travaux de recherche présentés dans cet article, s’intitule « le burnout est-il une forme de dépression? Approches psychométrique et expérimentale ».
Les auteurs ont effectué une recherche systématique de la littérature dans les bases de données PubMed, PsycINFO et IngentaConnect. Ont uniquement été sélectionnées les études présentant une comparaison entre l’épuisement professionnel et la dépression. Les filtres suivants ont été appliqués : « langue anglaise », « revues à comité de lecture » et « Humains ». Un total de 92 études a été retenu. Nous porterons notre attention sur les interrogations suivantes:
- L’épuisement professionnel et la dépression sont-ils distinguables en termes de symptômes?
- L’épuisement professionnel prédit-il la dépression et/ou l’inverse?
- L’épuisement professionnel et la dépression peuvent-ils être distingués aux niveaux somatique et biologique?
Synthèse
De nombreuses conceptions de l’épuisement professionnel ont été proposées au cours des dernières années. Selon la plus consensuelle de ces définitions, l’épuisement professionnel est un syndrome qui se développe en réponse à un stress chronique au travail et qui se caractérise par 3 éléments:
- un sentiment d’épuisement émotionnel et physique;
- la présence d’un cynisme induisant une attitude lointaine envers son travail;
- une efficacité professionnelle diminuée associée à un sentiment d’incompétence et une perte de confiance en soi.
En d’autres termes, l’épuisement professionnel se déclenche suite à une exposition constante et prolongée au stress et est causé par un déséquilibre entre les demandes associées au travail et les ressources disponibles de l’individu en réponse au mécanisme d’adaptation au stress.
Le concept de dépression quant à lui est profondément ancré dans l’histoire de la médecine. Sa genèse remonte à l’antiquité grecque, avec notamment la théorie des humeurs d’Hippocrate. De nos jours, le DSM-5 (« Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders »), le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, liste neuf principaux symptômes caractérisant la dépression majeure :
- une humeur dépressive ;
- une anhédonie (une difficulté à ressentir les émotions positives avec une perte de plaisir et d’intérêt en général) ;
- un poids ou appétit modifié (augmenté ou diminué) ;
- une insomnie ou une hypersomnie ;
- une agitation ou un retard psychomoteur ;
- une fatigue et une perte d’énergie ;
- un sentiment d’inutilité, de dévalorisation et/ou de culpabilité ;
- une concentration altérée et/ou une difficulté dans la prise décision ;
- des idées suicidaires.
Un diagnostic d’épisode dépressif majeur nécessite au moins deux semaines d’humeur dépressive ou d’anhédonie, accompagné d’au moins quatre autres des symptômes dépressifs décrits ci-dessus.
L’épuisement professionnel et la dépression sont-ils distinguables en termes de symptômes?
L’étroite proximité des descriptions de l’épuisement professionnel par rapport à celles de la dépression amène certains chercheurs à suggérer que l’épuisement professionnel devrait être conceptualisé comme un symptôme dépressif résultant d’un environnement de travail pénible. D’autres auteurs avancent que les caractéristiques de l’épuisement professionnel chevauchent bien ceux de la dépression, mais seulement dans une certaine mesure. La majorité des auteurs s’entendent sur le fait que des symptômes dépressifs de toutes sortes ont observé chez les individus présentant un épuisement professionnel. À titre d’exemple, trois études sont citées dans l’article de Bianchi et ses collaborateurs. La première rapporte qu’environ 53% des participants affichant un épuisement grave présente également un trouble dépressif (Ahola et al., 2005). La seconde étude constate que jusqu’à 90% des individus avec épuisement professionnel répond aux critères d’un diagnostic provisoire de dépression (Bianchi, Schonfeld, & Laurent, 2014). Enfin, la troisième étude compare directement les symptômes dépressifs présents chez un groupe de travailleurs épuisés et chez un groupe de personnes cliniquement déprimées. Les auteurs n’ont alors observé aucune différence significative de diagnostic entre les deux groupes (Bianchi, Boffy, Hingray, Truchot, & Laurent, 2013).
L’épuisement professionnel prédit-il la dépression et/ou l’inverse?
Deux hypothèses ont été proposées :
- Hypothèse 1 : l’épuisement professionnel serait une phase du développement de la dépression.
- Hypothèse 2 : la dépression peut influencer négativement l’expérience de travail et générer un épuisement professionnel.
Toutes les études évaluées montrent qu’il existe bien une relation circulaire entre l’épuisement professionnel et la dépression. Cependant, les résultats sont trop hétérogènes pour pouvoir confirmer ou infirmer les deux hypothèses citées ci-dessus. De plus, les études conçues pour déterminer si l’épuisement professionnel prédit la dépression et/ou l’inverse s’appuient toutes sur le postulat selon lequel la dépression et l’épuisement professionnel correspondent à deux entités différentes. De telles études ont donc tendance à approuver la différence entre l’épuisement professionnel et la dépression plutôt que de la tester !
L’épuisement professionnel et la dépression peuvent-ils être distingués aux niveaux somatique et biologique?
Évaluation des systèmes altérés suite à un stress chronique
L’épuisement professionnel étant considéré comme une conséquence du stress chronique, les systèmes connus pour être altérés lors du stress chronique ont fait l’objet d’investigation, tel que les systèmes cardiovasculaires, immunitaires et endocriniens. Ainsi, des symptômes de coronaropathie ont été observés de façon similaire dans l’épuisement professionnel et dans la dépression (Landsbergis, 1988). Une autre étude observe un niveau plus élevé du facteur de nécrose tumorale TNF-alpha, un agent pro-inflammatoire, chez des femmes ayant un épuisement professionnel élevé, et ce de façon indépendante de la dépression (Grossi, Perski, Evengård, Blomkvist, & Orth-Gomér, 2003). Par ailleurs, il a été montré que l’épuisement professionnel, mais pas la dépression, était associé positivement chez les femmes à une microinflammation, exprimée par des concentrations élevées de la protéine C-réactive. De façon surprenante, chez les hommes, c’est la dépression et non l’épuisement professionnel qui est associée à un taux plus élevé de cette protéine C-réactive, marqueur inflammatoire (Toker, Shirom, Shapira, Berliner, & Melamed, 2005). Enfin, l’épuisement professionnel tout comme la dépression ont été identifiés comme facteurs de risque pour le diabète de type-2 ainsi que pour l’obésité (Bianchi et al., 2015).
Évaluation du taux de cortisol
L’épuisement professionnel étant considéré comme un état lié au stress, les recherches sur le sujet ont porté une attention particulière sur le cortisol, produit final et effecteur clé de la réponse au stress. Dans ce contexte, l’épuisement professionnel est de plus en plus considéré comme un trouble « hypocortisolémique ». Cette baisse de cortisol dans le corps dénote une perte d’efficacité des mécanismes d’adaptation au stress qui permettent normalement à l’organisme de contrôler la situation en atténuant voire en supprimant les effets du stress. Comme dans l’étiologie de l’épuisement professionnel, une perte d’adaptation au stress joue un rôle central dans la dépression. Des profils neurobiologiques différents ont été observés en fonction des sous-types de dépression. Par exemple, la dépression dite mélancolique est associée à une hypercorticosolémie (une augmentation du taux de cortisol dans le corps) alors que la dépression dite atypique est quant à elle marquée par une hypercorticosolémie. Dans les deux cas, il est observé une altération de la réponse au stress et du système de contrôle du cortisol (Bianchi et al., 2015).
Conclusion et réflexion personnelle
Le chevauchement entre l’épuisement professionnel et la dépression a été débattu depuis la naissance de la construction du concept d’épuisement professionnel dans les années 1970. Freudenberger précisait déjà dans l’article généralement considéré comme inaugural sur le burn-out qu’en cas d’épuisement professionnel, «la personne regarde, agit et semble déprimée » (Freudenberger, 1974). Cependant, malgré une quantité considérable de recherches sur l’épuisement professionnel depuis ce temps, la singularité du phénomène d’épuisement professionnel vis-à-vis de la dépression est restée incertaine. Cette observation est cohérente avec la conclusion des auteurs Bianchi et ses collaborateurs qui précisent qu’isoler des différences substantielles entre épuisement professionnel et dépression reste difficile. L’absence de critères de diagnostic consensuels pour l’épuisement professionnel et la recherche sur l’épuisement professionnel tenant compte de l’hétérogénéité des troubles dépressifs constituent des obstacles majeurs à la résolution du problème soulevé. Cependant, puisque les travailleurs épuisés présentent un éventail large de symptômes dépressifs, les auteurs Bianchi et ses collaborateurs suggèrent que les symptômes de l’épuisement professionnel seraient des composantes d’un syndrome dépressif plus large plutôt que des constituants d’une entité distincte. Quels que soient les cadres théoriques utilisés et les hypothèses ultérieures, les futures études devraient fournir systématiquement des analyses bidirectionnelles afin d’éviter des biais de conclusions vers une direction ou vers une autre.
Très récemment, le registre de l’OMS a précisé que le burn-out « fait spécifiquement référence à des phénomènes relatifs au contexte professionnel et ne doit pas être utilisé pour décrire des expériences dans d’autres domaines de la vie ». Pour résumer, l’épuisement professionnel, ou burn-out pourrait donc être défini comme un état dépressif associé au travail. Il a pour conséquence une rupture nette de l’équilibre mental et a des impacts majeurs sur les autres sphères de vie. C’est dans ce contexte que l’épuisement professionnel est de plus en plus considéré comme un fardeau pour les organisations et la société en général. En effet, sur le plan professionnel, il est associé à de moins bonnes performances et à de l’absentéisme, et sur le plan personnel à des invalidités, voire plus grave à des tentatives de suicide. Le syndrome de l’épuisement professionnel est un problème grave pour les systèmes de santé. Les personnes à risque sont celles qui s’investissent intensément dans leur travail, ou qui ont des postes à responsabilités élevées et souvent associées à des objectifs difficilement atteignables. Il affecte notamment presque tous les profils des travailleurs dans le milieu de la santé (Friganović, Selič, Ilić, & Sedić, 2019). La prévention des activités visant à réduire le stress et l’incidence de l’épuisement professionnel devrait être considérée comme une urgence majeure dans le plan santé du gouvernement. Il est de plus suggéré d’accorder une place centrale à l’observation clinique systématique dans les recherches futures sur le chevauchement épuisement-dépression.
Bibliographie
Ahola, K., Honkonen, T., Isometsä, E., Kalimo, R., Nykyri, E., Aromaa, A., & Lönnqvist, J. (2005). The relationship between job-related burnout and depressive disorders—results from the Finnish Health 2000 Study. Journal of Affective Disorders, 88(1), 55–62. https://doi.org/10.1016/J.JAD.2005.06.004
Bianchi, R., Boffy, C., Hingray, C., Truchot, D., & Laurent, E. (2013). Comparative symptomatology of burnout and depression. Journal of Health Psychology, 18(6), 782–787. https://doi.org/10.1177/1359105313481079
Bianchi, R., Schonfeld, I. S., & Laurent, E. (2014). Is burnout a depressive disorder? A reexamination with special focus on atypical depression. International Journal of Stress Management, 21(4), 307–324. https://doi.org/10.1037/a0037906
Bianchi, R., Schonfeld, I. S., & Laurent, E. (2015). Burnout–depression overlap: A review. Clinical Psychology Review, 36, 28–41. https://doi.org/10.1016/j.cpr.2015.01.004
Freudenberger, H. J. (1974). Staff Burn-Out. Journal of Social Issues, 30(1), 159–165. https://doi.org/10.1111/j.1540-4560.1974.tb00706.x
Friganović, A., Selič, P., Ilić, B., & Sedić, B. (2019). Stress and burnout syndrome and their associations with coping and job satisfaction in critical care nurses: a literature review. Psychiatria Danubina, 31(Suppl 1), 21–31. Retrieved from http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30946714
Grossi, G., Perski, A., Evengård, B., Blomkvist, V., & Orth-Gomér, K. (2003). Physiological correlates of burnout among women. Journal of Psychosomatic Research, 55(4), 309–316. https://doi.org/10.1016/S0022-3999(02)00633-5
Landsbergis, P. A. (1988). Occupational stress among health care workers: A test of the job demands-control model. Journal of Organizational Behavior, 9(3), 217–239. https://doi.org/10.1002/job.4030090303
Toker, S., Shirom, A., Shapira, I., Berliner, S., & Melamed, S. (2005). The Association Between Burnout, Depression, Anxiety, and Inflammation Biomarkers: C-Reactive Protein and Fibrinogen in Men and Women. Journal of Occupational Health Psychology, 10(4), 344–362. https://doi.org/10.1037/1076-8998.10.4.344
[1] Ce travail est le résultat d’un contrôle continu de l’unité d’enseignement « Introduction à la psychologie sociale des organisations ». Programme « Psychologue du travail » – CNAM Pays de la Loire – Année 2018-2019- Semestre 2.