Rapport produit dans le cadre de l’unité d’enseignement « Le psychologue, le travail et l’emploi » – CNAM Pays-de-la-Loire – Juillet 2020 – Pour télécharger l’article en version PDF, c’est ICI!
Introduction
Quel est le socle commun entre un psychologue clinicien d’inspiration lacanienne et un psychologue du travail spécialiste du recrutement d’inspiration cognitiviste? « Le code de déontologie! » affirme le psychologue Patrick Cohen dans le journal des psychologues en 2019 (Cohen, 2019a). Et c’est vrai que les conduites professionnelles des psychologues s’articulent autour d’une déontologie commune, quels que soient les pratiques, les champs d’interventions ou les orientations professionnelles.
Quelle est l’histoire de la légalisation de la déontologie en France? Pourquoi le Code de déontologue des psychologues n’est-il toujours pas réglementé? Quels sont les enjeux de sa réglementation et de sa non-réglementation? Ce dossier propose en première partie de voyager au cœur de l’histoire du Code de déontologie en France, pour ensuite explorer en seconde partie des pistes de réflexion quant aux différents enjeux de sa réglementation et de sa non-réglementation.
PARTIE1 : Code, Titre et Ordre : une histoire commune
Afin de mieux appréhender les enjeux sur la réglementation du Code de déontologie des psychologues, l’histoire du Code de déontologie en France a été interrogée. Lors de nos recherches, il a été frappant de constater à quel point l’histoire du code était mêlée à celle du titre de psychologue ainsi qu’aux interrogations sur la création d’un Ordre professionnel des psychologues. C’est lors d’un entretien avec Jacques Borgy, psychologue clinicien et secrétaire de la Commission de déontologie du Syndicat National des Psychologue (SNP), qu’un éclairage sur l’histoire du code nous a permis de mieux comprendre et d’identifier les enjeux actuels sur sa réglementation et sa non-réglementation. Cette première partie expose l’histoire du Code de déontologie en France depuis ses origines en 1961 jusqu’à son actualisation en 2012.
1. Aux origines…
La question d’un Code de déontologie des psychologues s’est rapidement imposée en France après la création de la Licence de psychologie dans les années 1950. En effet, cette nouvelle légitimité académique de la discipline de psychologie, alors enseignée au sein de la licence de philosophie, incita des praticiens à se rassembler au sein de premières instances et associations professionnelles et à s’interroger sur la professionnalisation du métier de psychologue. Le SNP (Syndicat National des psychologues) fut alors créé ainsi que la SFP (Société Française de psychologie), regroupant chercheurs et enseignants en psychologie. C’est cette dernière qui rédigera le premier Code de déontologie des psychologues en 1961, un code plutôt général et abstrait, et réduit à six articles. Il constituera le code de déontologie des psychologues pendant 35 ans!
En 1965, Didier Anzieu, élève de Daniel Lagache et professeur de psychologie, crée le comité CCOP (Comité de coordination des organisations de psychologues) qui vise à « permettre l’échange des informations entre praticiens, la confrontation des analyses et, dans certains cas, l’organisation d’actions concertées. Il vise aussi à mettre en place de façon progressive les garanties légales d’un exercice professionnel satisfaisant » (Le Bianic, 2013). Le dénommé « projet Anzieu » envisageait de légaliser le titre de psychologue, de réglementer l’activité des psychologues, et de proposer aux praticiens un Code de déontologie à valeur législative. C’est ainsi que le projet a été soumis au parlement. Par manque d’alliance commune, de divisions statutaires, de vives résistances du ministère de la Santé et des réticences du pouvoir public, le projet Anzieu est tombé dans les oubliettes.
2. La naissance du titre de psychologue
Des années plus tard, après l’échec du projet Anzieu et plusieurs tentatives avortées de réglementation de la psychologie, il a été proposé par les parlementaires de séparer les questions sur la réglementation du titre de psychologue de celles du Code de déontologie afin d’éviter toute confusion sur les différents enjeux de la profession et d’écarter de nouvelles tensions. C’est ainsi que le dénominateur commun a été identifié: la protection légale du titre. En conséquence, la loi sur le titre de psychologue a été adoptée en 1985 pour encadrer l’usage du titre de psychologue. C’est la reconnaissance d’un titre unique pour toutes les spécialités de la psychologie, sanctionnant une formation universitaire unique. Ainsi, depuis 1985, l’usurpation du titre de psychologues est une infraction prévue par l’article 433-17 du Code pénal. Aujourd’hui, les voies d’accès au titre de psychologue en France sont les suivantes : une licence de psychologie plus un master; le diplôme d’état de psychologue scolaire; le diplôme de psychologie du travail du CNAM; le diplôme d’état de conseiller d’orientation psychologue. De nos jours, c’est l’ARS (Agence Régionale de Santé) qui gère les listes de psychologues par l’intermédiaire d’un répertoire d’information national connu sous le nom de ADELI (Automatisation DEs Listes). Cette loi de 1985 a été saluée par une grande majorité de la profession. En effet, la loi sur le titre de psychologue permet une réelle inscription sociale de la profession de psychologue et du champ de la psychologie. Elle n’aurait peut-être pas été votée si les questions sur la réglementation du Code de déontologie avaient été maintenues.
3. Questions sur le code : au second plan!
À la suite de la loi sur le titre de psychologue, une certaine euphorie s’est emparée de la profession, avec notamment le développement de postes de psychologues dans la fonction publique hospitalière, et des décrets particuliers entourant cette fonction. En parallèle, émergèrent des inquiétudes des professionnels de l’éducation nationale qui n’étaient pas sûrs que les psychologues scolaires puissent être considérés comme des psychologues. Toutes les interrogations entourant la déontologie sont ainsi passées au second plan!
4. L’élaboration du code
Une dizaine d’années plus tard, sans attendre que l’initiative vienne des pouvoirs publics et encouragés par une volonté commune d’unification de la profession, des regroupements d’associations et d’instances de la profession proposèrent une nouvelle rédaction du Code de déontologie en 1996. C’est aujourd’hui encore l’écrit qui reste le plus consensuel. Il répond à l’impératif de protection du public et renvoie aux notions classiques conformes de celles des autres Codes de déontologie (honnêteté, devoir d’assistance et de soutien envers ses collègues, principe de prudence et de responsabilité, principe de légalité et du secret professionnel, etc.).
En référence à ce code de 1996, une commission regroupant des membres désignés des organismes signataires du code est créée un an plus tard: la CNCDP (Commission Nationale Consultative de la Déontologie des Psychologues). Sa mission est d’éclairer les pratiques des psychologues, ses avis sont purement consultatifs et n’ont aucune valeur juridique (Gauché, 2019). C’est dans ce contexte qu’ont à nouveau émergé des interrogations sur l’existence d’une structure ordinale pour répondre à une éventuelle reconnaissance d’une valeur juridique du code. En effet, comment assurer et garantir le respect d’une discipline et de sa déontologie sans une instance juridique ?
5. L’actualisation du code
Au cours des années suivantes, les membres de la CNCDP ont été confrontés à une évolution croissante des différentes problématiques qui leur était adressées. Une actualisation du code est alors apparue nécessaire, afin de mieux répondre aux attentes autant des usagers que des professionnels. Cette actualisation fut publiquement présentée en 2012, et acceptée par une partie de la profession seulement, les partisans de la création d’un ordre professionnel refusant de la signer.
6. Ce qu’il faut retenir de l’histoire du code
Du premier code de la SFP en 1961 jusqu’à sa révision en 2012, plusieurs versions du Code de déontologie ont circulé au cours de l’histoire de la psychologie. Cependant, aucun de ces codes n’a de valeur juridique. L’histoire du code telle que présentée dans cette première partie met ainsi en exergue deux réalités présentes au sein de la profession depuis ses débuts :
1) La profession est partagée sur la façon de réglementer la déontologie. Notamment, et principalement, la solution d’un Ordre professionnel divise la profession en deux camps distincts : les « pro-ordre » et les « anti-ordre ». Ces oppositions semblent aujourd’hui loin d’être éteintes.
2) La profession s’accorde et se réunit autour d’un sujet essentiel et central : la nécessité d’une déontologie affirmée et réglementée.
Une frise représentant l’histoire de la déontologie en France et de sa légalisation est présentée en Annexe 1 comme complément d’information. Frise reproduite avec l’aimable autorisation de Jacques Borgy, psychologue clinicien et secrétaire de la Commission de déontologie du SNP.
PARTIE 2 : Les enjeux de la réglementation et de la non-réglementation du Code de déontologie des psychologues
L’histoire de la déontologie et de sa légalisation présentée en première partie de ce dossier nous permet de comprendre pourquoi, aujourd’hui encore, le code n’est toujours pas réglementé en France. En effet, même si un texte commun a vu le jour, les rapports conflictuels entre les différentes chapelles, les revendications identitaires et les ambivalences dans les tentatives de structuration de la profession n’ont pas permis d’aboutir à un consensus vers une réglementation commune de la déontologie.
Cette seconde partie propose d’explorer les enjeux de la réglementation et de la non-réglementation du Code de déontologie des psychologues sous forme de questions, articulées autour des trois principes fondateurs du Code de déontologie des psychologues (Cohen, 2019a) :
• La protection des usagers;
• La protection des psychologues;
• La consolidation des bonnes pratiques professionnelles.
De plus, afin d’alimenter notre réflexion, un questionnaire a été créé auquel vingt psychologues ont répondu de façon anonyme (voir le questionnaire en Annexe 2). À noter que sur ces vingt psychologues, dix-huit déclarent exercer en libéral, un est à mi-temps libéral/mi-temps établissement ASE (Aide Sociale à l’Enfance) et un n’exerce plus comme psychologue. Aussi, quatorze sont de France, trois du Québec et trois de Belgique. Une partie des réponses au questionnaire a été sélectionnée pour ponctuer notre analyse et est présentée sous la forme de témoignages.
1. Que se passe t’il lorsque le psychologue ne respecte pas sa déontologie?
La Commission de régulation des litiges déontologiques de la FFPP (Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie), dénommée Coreli, proposait dès 2016 de la médiation et de la conciliation comme alternatives pour traiter des plaintes relatives au non-respect de la déontologie. Médiation et conciliation sont deux dispositifs plutôt anciens dans les règlements de litiges, et considérés comme des approches positives et humanistes, qui précèdent des mesures de sanction (Guette-Marty, 2019).
En parallèle, et tel que présenté ci-avant, la CNCDP émet des avis consultatifs sur les problématiques qui lui sont présentées, sur la base du Code actualisé en 2012. C’est une instance consultative, qui apporte des éclairages aux usagers et aux psychologues lors de problématiques ou de situations délicates (Gauché, 2019). Ces avis informent le demandeur sur la conduite du psychologue incriminé, mais n’ont pas de valeur législative. Aujourd’hui, pour qu’une plainte soit reconnue juridiquement, la seule option est de se tourner vers le droit pénal. Or dans le droit français, la déontologie ne relève ni du pénal, ni du civil, mais du droit disciplinaire (Borgy, 2016). Pour qu’elle ait une existence légale, la déontologie devrait donc être adossée à une instance professionnelle, susceptible de répondre aux impératifs du droit disciplinaire.
Par ailleurs, fait troublant, lorsqu’un psychologue est dénoncé et que la plainte s’avère fondée, aucun retour sur sa conduite ne lui ait proposé par la CNCDP. Comment prétendre protéger le public des mésusages si aucun ajustement de pratique ou d’accompagnement pour une meilleure compréhension du Code de déontologie n’est proposé?
La solution d’une instance, proposée par la profession et mise en place par la loi avec une délégation de puissance publique, permettrait de répondre à cette nécessité du respect du droit disciplinaire (Borgy, 2016). Cependant, la recherche du type d’instance ne cesse d’enflammer la profession : Ordre professionnel? Chambre? Haut Conseil? Les arguments des partisans « pro-ordre » et « anti-ordre » seront abordés un peu plus loin dans ce rapport, ainsi que la présentation d’un « Haut Conseil des psychologues ».
2. Quelles sont les options pour un psychologue désireux de respecter son Code de déontologie mais qui se trouve confronté à des conditions de travail qui ne le permettent pas?
Dans certains cas, le psychologue est confronté à un choix très inconfortable entre le respect de sa déontologie et se soumettre à son supérieur. C’est le cas de psychologues qui exercent leurs activités dans des établissements médico-social ou socio-éducatif. Ci-après le témoignage troublant d’une professionnelle qui, après avoir été psychologue libérale pendant plusieurs années, débute un poste de salarié dans un établissement :
« En libéral, lors du premier rdv, j’explique aux enfants et à leurs parents ma façon de travailler. Je leur présente l’une des règles de mon métier, à savoir « le secret professionnel ». Je précise aux enfants que tout ce qu’ils diront restera secret, que je n’en parlerai pas à d’autres et que s’ils me confient un secret en l’absence de leurs parents et qu’ils ne veulent pas leur dire, ça restera secret. Je complète mon propos en leur disant que toutefois, parfois, dire un secret, ça permet de débloquer bien des choses et que les papas et mamans comprennent mieux et qu’on peut avancer ensemble et trouver des solutions. Mais que tout ça se fera si et quand ils seront prêts et que je suis là pour les aider. Je demande aussi l’accord des parents pour ce processus. C’est, pour moi, le gage d’une relation de confiance et cela permet effectivement aux enfants de se livrer plus facilement. Ça c’était quand j’exerçais en libéral! Or je débute un poste en structure. J’ai voulu me présenter aux enfants de la même façon, mais grincement de dents du directeur pour qui il n’y a pas de secret professionnel pour les psychologues, juste pour les médecins…effectivement, pas faux! …mais ça n’arrange pas mon affaire pour 1) mettre les enfants en confiance et 2) respecter le code de déontologie de ma profession. On a pu reprendre les choses, mais mon supérieur hiérarchique insiste sur l’importance du partage d’informations aux autres professionnels de la structure s’occupant des enfants. J’ai pu négocier un temps de mise en confiance des enfants et de l’importance d’avoir cette confiance et accord pour dévoiler des éléments personnels…tout ça pour dire que si je peux respecter le code de déontologie en libéral, n’étant pas réglementé, c’est moins simple de le faire valoir auprès de sa direction, en structure. »
L’absence de réglementation livre donc le psychologue à lui-même et ne le protège aucunement dans sa pratique professionnelle. De plus, cet exemple montre que la non-réglementation du Code de déontologie pose un enjeu de crédibilité de la profession, notamment en ce qui concerne le respect de la vie privée des personnes. La remarque du directeur qui mentionne qu’ « il n’y a pas de secret professionnel pour les psychologues, juste pour les médecins » soulève une méconnaissance générale du Code de déontologie des psychologues. En effet, celui-ci précise dès le principe 1 que « le psychologue préserve la vie privée et l’intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel. Il respecte le principe fondamental que nul n’est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même ». L’article 7 du Code indique quant à lui: « Les obligations concernant le respect du secret professionnel s’imposent quel que soit le cadre d’exercice ». Ainsi, comment faire valoir son code de déontologie auprès d’une direction et d’une structure sans réglementation?
3. Quels seraient les avantages de la réglementation du Code?
Installer le Code de déontologie dans le paysage juridique semble être un incontournable pour qu’il soit reconnu, opposable, et défendable au regard de la loi et de la société.
« Cela permettrait de légiférer l’exercice de la psychologie de manière plus concrète et au même niveau que les autres professions réglementées, protéger la personne qui consulte, ainsi que le psychologue lui-même. »
« Permettre la protection du public, tendre vers une uniformisation de la qualité des services (basé sur des données dites « scientifiques »), un cadre plus clair pour le public quant aux services offerts (ce qui devrait être attendu comme type et qualité de services), permettre des recours en cas de litige et de mauvaise qualité de service. Et aussi offrir un cadre clair pour les praticiens. »
(Témoignages issus du questionnaire-Voir annexe 2)
De la formation des psychologues
Lors de notre entretien avec Jacques Borgy, psychologue clinicien et secrétaire de la commission de déontologie du SNP, notre attention a particulièrement été retenue sur un enjeu important de la profession : celui de la formation des psychologues. En effet, et sauf erreur de notre part, les psychologues ne sont pas formés au droit français. Or de nombreuses lois et décrets doivent être respectés, notamment par les psychologues exerçant en libéral. Par exemple, le Code de la santé publique et le code de la consommation encadrent l’affichage du montant des honoraires ou l’obligation de fournir une facture sur demande. Le Code de l’urbanisme veille à l’accessibilité et à la sécurité des locaux recevant du public. Le Code Civil quant à lui réglemente l’exercice de l’autorité parentale sur les mineurs consultant le psychologue. Une instance juridique telle qu’un Ordre professionnel pourrait-elle avoir pour mission de combler cette faille de la méconnaissance de la réglementation du droit français par les psychologues? Des unités d’enseignement devraient-elles être dispensées pendant la formation?
Par ailleurs, la formation des psychologues est en partie assurée par des enseignants chercheurs, tout du moins en ce qui concerne les parcours académiques. À noter qu’au CNAM (Conservatoire Nationales des Arts et Métiers), la psychologie est principalement enseignée par des praticiens qui travaillent « sur le terrain ». En ce qui concerne les enseignants-chercheurs, tous ne sont pas psychologues. Or le Code de déontologie est celui des psychologues, au sens de profession réglementée. Les enseignants-chercheurs ne sont donc pas représentés dans le Code de déontologie, puisque leur statut est avant tout un statut de fonctionnaire avec des spécificités, qu’ils soient psychologues ou non. Pourtant, ce sont bien eux qui assurent en partie la formation initiale et continue, qui contribuent à l’orientation professionnelle, et qui ont pour devoir de former des professionnels compétents (Schneider & Truong-Minh, 2019)! Face à ce paradoxe, quelle possibilité d’interpellation existe-t-il s’il y a manquement à des principes et des valeurs partagées inscrites dans le Code de déontologie des psychologues? Une sanction disciplinaire relèverait-elle d’un Ordre professionnel des psychologues, ou d’une autre instance qui pourrait comparer les conduites à des valeurs déontologies? Le débat d’une union forte entre psychologues-praticiens et enseignants-chercheurs en psychologie reste ouvert (Schneider & Truong-Minh, 2019).
Un Ordre professionnel des psychologues : le choix d’autres pays
« L’Ordre Professionnel du Québec protège d’abord le public. Ce qui est nécessaire. Je souhaiterais une section pour protéger les psychologues, i.e. un accès accru à un service conseil pour notre pratique. Par exemple, du soutien face à un client difficile (qui veut porter plainte). Je crois que réserver des actes professionnels est nécessaire, au Québec comme en France, pour respecter les personnes qui ont étudié pour cette profession et pour éviter les abus face aux clients, par n’importe quelle personne qui se dit thérapeute. » (Témoignage issu du questionnaire- Voir Annexe 2)
Encadrer et réglementer le titre et l’activité des psychologues par un Ordre professionnel, c’est le choix qu’ont fait d’autres pays, comme celui du Québec, où la question d’un Ordre professionnel ne se pose pas, mais s’impose! En effet, au Canada, il est d’usage que les professions ou métiers soient régis par des textes de loi provinciaux, et gérés par un organisme de réglementation. Dans la province de Québec, l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) a pour principale mission de protéger le public. Parmi ses fonctions, l’OPQ s’assure que ses membres accomplissent suffisamment d’heures en formation continue, délivre les permis de psychologue et de psychothérapeutes, surveille l’exercice de la pratique illégale de la psychothérapie et de l’usurpation du titre de psychologue et publie les lignes directrices indiquant les meilleures pratiques en psychologie. (Voir le site de l’OPQ : https://www.ordrepsy.qc.ca/mission). En Europe, l’Italie et le Portugal ont également décidé de réguler la profession sous la forme d’un Ordre professionnel (Andronikof, 2019). C’est donc une commission disciplinaire ordinale qui traite les plaintes contre les psychologues, et les accompagne vers une obligation de supervision ou de complément de formation.
4. Quelles pourraient être les effets néfastes de la réglementation du Code?
La « normativité » de la profession
« Un des risques serait que le code n’intègre pas toutes les pratiques, qu’elles soient institutionnelles ou libérales, ni toutes les spécialités (social, neuro, travail, clinique, etc.) dans leurs spécificités. Il n’y a pas de réel effet néfaste si l’intégrité de la psychologie dans son entièreté est considérée. Une réglementation pourrait cependant limiter l’évolution de la pratique et son adaptation aux contextes sociaux évolutifs. »
« Le risque serait de confondre déontologie et normes d’exercice, d’où l’importance d’une référence juridique pour être dans le domaine du droit et pas de la normativité. »
(Témoignages issus du questionnaire-Voir annexe 2)
Ces extraits de témoignages mettent en exergue l’une des craintes de la réglementation du Code de déontologie des psychologues vécue par certains professionnels: la perte d’indépendance du praticien, entièrement soumis à une seule entité juridique qui aurait les pleins pouvoirs. Ainsi, comment éviter l’élitisme, ou de cloisonner les pratiques qui risquerait d’éclater la profession? Comment assurer un « garde-fou » pour réglementer les conduites autant des psychologues cliniciens d’orientation psychanalytiques que celle des psychologues cognitivo-comportementalistes par exemple?
La crainte de la paramédicalisation et de la « toute-puissance » des médecins
Les psychologues qui se positionnent contre la réglementation du Code par un Ordre professionnel craignent que l’instance juridique soit pilotée uniquement par les médecins et par conséquent, que la profession de psychologue s’inscrive parmi les professions paramédicales, sous la tutelle des médecins. Cette crainte trouve sa source dans l’histoire du Code de la santé publique, où sont inscrites toutes les professions de santé. Ce Code décline les professions de santé en trois grandes catégories : les professions médicales (= les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes), les laboratoires et les pharmacies, et toutes les autres qui sont des professions d’auxiliaires médicaux : infirmiers, kinésithérapeutes, psychomotriciens, pédicures podologues, etc. La pratique de ces professions d’auxiliaires médicaux dépend d’une prescription médicale. Les infirmiers ont une part de pratique propre, mais qui est très limitée et toujours référée aux médecins.
Par ailleurs, les psychiatres qui pratiquent la psychothérapie ou la psychanalyse se sont positionnés contre la création d’un Ordre de psychologues, par crainte que l’élaboration d’un statut spécifique de psychologue n’ouvre la voie à la pratique des psychothérapies en dehors de leur contrôle (Le Bianic, 2013). C’est notamment l’argument défendu par la Sous-direction des professions de Santé lors de la présentation du projet Anzieu que nous avons évoqué ci-avant. Selon le ministère de la Santé de l’époque (nous sommes dans les années 1960-1970), toute officialisation de la profession de psychologue risquerait de donner le monopole aux psychologues sur certains actes. Il admet alors que les psychologues soient considérés comme des « auxiliaires médicaux », ce que refuse la profession, par crainte d’être cantonnée dans un rôle de techniciens (Le Bianic, 2013).
Ainsi, et selon Jacques Bordy, psychologue clinicien et secrétaire de la commission de déontologie du SNP, avec qui nous nous sommes entretenus : puisque tout ce qui a trait au domaine de la santé semble être devenu médico-centré, voir hospitalo-centré (les médecins étant formés à l’hôpital), il apparaît essentiel que la profession de psychologue ait sa propre représentation et sa propre structure professionnelle, afin d’avoir autant de poids, au moins intellectuellement parlant, que les médecins. L’articulation entre le Code des psychologues et celui des médecins et autres paramédicaux s’avère être un défi houleux à relever!
5. Quelles autres solutions pour aller vers une valeur juridique du Code de déontologie?
Un « Haut conseil des psychologues »
Puisque la solution de recours à un ordre semble être une impasse, mais qu’il apparaît malgré tout nécessaire de s’entendre sur la réglementation du code, le Groupe Inter organisationnel pour la Réglementation de la Déontologie des Psychologues (GIRéDéP) a été créé en 2009 avec comme objectif la réglementation du Code par décret et l’actualisation du code de déontologie. Après avoir proposé une actualisation du Code en 2012, le Girédep s’est par la suite attelé à examiner les différentes hypothèses alternatives à la voie ordinale.
En parallèle, le SNP, en collaboration avec d’autres syndicats, dont la CFDT, se rapproche de Yann Durmarque, docteur en droit public, qui publie en 2001 « Les psychologues, un statut juridique à la croisée des chemins » (Durmarque, 2001). Surpris de constater que la déontologie des psychologues n’est juridiquement pas reconnue ni encadrée par un Ordre professionnel, au même titre que l’est son activité d’avocat, Yann Durmarque propose des pistes de réflexions et de documentation sur les acquis et le devenir de la profession au niveau juridique. Le SNP fait alors appel à son expertise afin de répondre à la question suivante : « est-il est obligatoire de créer un Ordre des psychologues pour que la déontologie soit réglementée? ». Puisqu’en France, contrairement d’autres pays, il n’y a pas de loi qui impose que les professions soient organisées en Ordre, il a été suggéré de créer un « Haut conseil des psychologues » avec des prérogatives ordinales dont celle d’un « Code légalisable » dans le but de faire respecter une déontologie. Cette proposition n’est pas sans rappeler le projet porté par le Professeur Anzieu en 1969, qui envisageait de soumettre les praticiens à un Code de déontologie à valeur législative.
Le CERéDéPsy, ou l’union fait la force!
Ces discussions menées en parallèle ont permis de dégager deux conclusions communes (Le Cerédépsy, 2019) :
1. La solution de création d’un Ordre des psychologues est écartée, puisqu’elle n’est ni adoptée par l’ensemble de la profession, ni plébiscitée par les pouvoirs publics.
2. Il devient nécessaire et urgent de faire adhérer l’ensemble de la profession vers une reconnaissance d’un Code qui protège autant les psychologues que les usagers.
Ces conclusions partagées ont abouti à la création d’un rassemblement inter-organisationnel, le « Cerédépsy », acronyme de « Construire ensemble la réglementation de la déontologie des psychologues ». Son objectif est d’aboutir à une réglementation de la déontologie des psychologues protégeant les usagers et les psychologues quel que soit leur champ d’exercices. Pour répondre à cette mission, les dix-neuf organisations du Cerédépsy ont décidé de mettre en place à partir de septembre 2018 un séminaire qui se réunit régulièrement. Une action collective déployée sous l’angle de trois groupes de travail :
• L’écriture d’un code unique autour de valeurs communes;
• Les voies possibles pour un respect de la déontologie;
• Les voies actuelles d’inscription de la référence au Code, sa visibilité et sa promotion.
Comme le souligne Patrick Cohen dans le journal des psychologues en 2019, le cerédepsy réactive ainsi le processus de réglementation du Code et relance un échange positif de négociations nationales au sein de la profession (Cohen, 2019b).
Conclusion
Ce rapport atteste que depuis longtemps, les psychologues sont divisés, et que ces divisions ont freiné l’avancée d’une déontologie forte qui soutiendrait la reconnaissance de la profession. Les attentes des professionnels convergent vers l’intention de créer un cadre légal au code, et de créer une instance dont la mission viserait à prendre en charge le respect de la déontologie des psychologues. Mais des débats se maintiennent autour de la législation du code. Il semble difficile de trouver un consensus, et une réflexion collective et nationale est nécessaire. Au-delà des différences culturelles, de la diversité des références légales et nationales, de la multiplicité des champs d’activité, des fonctions et des références théoriques, l’identité professionnelle des psychologues s’affirme et se renforce prioritairement autour de leurs devoirs, de leurs responsabilités individuelles et collectives, et des valeurs qu’ils partagent et défendent en commun.
Bibliographie
Andronikof, A. (2019). Traitement des plaintes contre psychologues: une Europe à géométrie variable. Le Journal Des Psychologues, n°366(4), 41. https://doi.org/10.3917/jdp.366.0041 Borgy, J. (2016). Pourquoi un Haut conseil des psychologues est indispensable. Le Journal Des Psychologues, 337(5), 41. https://doi.org/10.3917/jdp.337.0041 Cohen, P. (2019a). Les enjeux de la réglementation du Code de déontologie. Le Journal Des Psychologues, n 366(4), 25. https://doi.org/10.3917/jdp.366.0025 Cohen, P. (2019b). Règlementer la déontologie, enfin ! Le Journal Des Psychologues, n°366(4), 12. https://doi.org/10.3917/jdp.366.0012 Durmarque, Y. (2001). Les psychologues, un statut juridique à la croisée des chemins. Technique et documentation. Retrieved from https://www.amazon.fr/PSYCHOLOGUES-STATUT-JURIDIQUE-CROISEE-CHEMINS/dp/2743004932 Gauché, M. (2019). La CNCDP: évolution des pratiques, dans le respect de la déontologie. Le Journal Des Psychologues, n°366(4), 21. https://doi.org/10.3917/jdp.366.0021 Guette-Marty, M.-C. (2019). Médiation et conciliation ou comment traiter des litiges déontologiques. Le Journal Des Psychologues, n°366(4), 33. https://doi.org/10.3917/jdp.366.0033 Le Bianic, T. (2013). Une profession balkanisée: Les psychologues face à l’État en France (1945-1985). Politix, 102(2), 175–207. https://doi.org/10.3917/pox.102.0175 Le Cerédépsy. (2019). Déontologie des psychologues : l’union fera la force La démarche du Cerédépsy. Journal Des Psychologues. Retrieved from https://www.jdpsychologues.fr/article/deontologie-des-psychologues-l-union-fera-la-force-la-demarche-du-ceredepsy Schneider, B., & Truong-Minh, E. (2019). Enseignants-chercheurs en psychologie: à la recherche du Code perdu ! Le Journal Des Psychologues, n°366(4), 36. https://doi.org/10.3917/jdp.366.0036
ANNEXE 1 : Frise historique de la déontologie et de la légalisation.
Frise reproduite avec l’aimable autorisation de Jacques Borgy, psychologue clinicien et secrétaire de la Commission de déontologie du SNP.
ANNEXE 2 : Questionnaire sur les enjeux de la réglementation et la non-réglementation du Code de déontologie des psychologues
Diffusé au sein de réseaux professionnels. Juillet 2020
POURQUOI ce questionnaire?
Dans le cadre de ma reprise d’étude en psychologie clinique du travail, je suis amenée à réaliser un rapport sur les enjeux de la réglementation et de la non-réglementation du Code de déontologie des psychologues. Je vous serai sincèrement reconnaissante du temps que vous pourriez consacrer à ce petit questionnaire! D’avance un énorme merci ;-). Anne-Laure
CONTEXTE
En France, le Code de déontologie des psychologues n’est pas réglementé, c’est-à-dire qu’il n’est pas juridiquement reconnu (sauf dans certains cas où le contrat avec l’employeur le mentionne). Il existe des instances de régulation du Code, telle que la CNCDP (Commission Nationale Consultative de Déontologie des Psychologues), qui peuvent émettre des avis sur la conduite d’un professionnel incriminé. Cependant, ces avis n’ont aucune valeur légale.
Puisque le code de déontologie a pour vocation première de « protéger le public et les psychologues contre les mésusages de la psychologie et contre l’usage de méthode et techniques se réclamant abusivement de la psychologie » (tel qu’indiqué dans le préambule), l’absence de réglementation soulève des interrogations. Comment s’assurer du respect de la déontologie? Comment assurer la protection des usagers des services, ainsi que celle des professionnels confrontés à des conditions de travail qui ne permettent pas le respect du Code par exemple?
• Question 1 : Votre condition d’exercice? (libéral/indépendant/travailleur autonome, en institution/organisation, autre?)
• Question 2 : Votre lieu d’exercice (France, Québec, autre?)
• Question 3 : D’après vous, quels sont les impacts d’une non-réglementation du Code?
• Question 4 : Quels seraient les bénéfices à la mise en place d’une réglementation du Code?
• Question 5 : Quels pourraient être les effets néfastes, les risques d’une réglementation du Code?
• Question 6 : Sous quelles formes et types d’instance pourrait s’installer cette réglementation? Quelle en serait la pertinence? Quels pourraient être les points de vigilance?
• Question 7 : Pour les professionnels basés au Québec:
Selon votre propre pratique et expérience professionnelle, quels sont les impacts négatifs et positifs de la présence de l’OPQ (Ordre Professionnel du Québec)? D’après-vous, serait-il pertinent de créer un Ordre des psychologues en France et pourquoi? Quels pourraient être les défis?
• Question 8 : Pour les professionnels basés hors France et hors Québec:
Qu’en est-il dans votre pays (merci de préciser lequel)? Quelles sont vos observations quant à la réglementation du Code de déontologie des psychologues?
• Question 9 : Autres commentaires?
Une réflexion au sujet de « Code de déontologie des psychologues en France: les enjeux de sa réglementation et de sa non-réglementation »
L usage professionnel du titre de psychologue est defini par l article 44 de la loi n 85-772 du 25 juillet 1985 complete par l article 57 de la loi n 2002-303 du 4 mars 2002 qui fait obligation aux psychologues de s inscrire sur les listes ADELI. Le present Code de deontologie est destine a servir de regle aux personnes titulaires du titre de psychologue, quels que soient leur mode et leur cadre d’exercice, y compris leurs activites d enseignement et de recherche. Il engage aussi toutes les personnes, dont les enseignants-chercheurs en psychologie (me section du Conseil National des Universites), qui contribuent a la formation initiale et continue des psychologues. Le respect de ces regles protege le public des mesusages de la psychologie et l utilisation de methodes et techniques se reclamant abusivement de la psychologie. Les organisations professionnelles signataires du present Code s’emploient a le faire connaitre et a s y referer. Elles apportent, dans cette perspective, soutien et assistance a leurs membres.